[Bob Dylan a été récompensé] pour avoir créé dans le cadre de la grande tradition de la musique américaine de nouveaux modes d’expression poétique.
Lui attribuer le Nobel de littérature, c’est affligeant. J’aime Dylan mais il n’a pas d’œuvre. Je trouve que l’Académie suédoise se ridiculise. C’est méprisant pour les écrivains.
Quand l’histoire se répète…
Qu’est-ce qu’une oeuvre littéraire? Quatre siècles après la fameuse Querelle des Anciens et des Modernes, cette question semble de nouveau se poser avec l’attribution du prix Nobel de littérature 2016 à Bob Dylan.
À l’époque, c’est Charles Perrault qui avait ouvert les hostilités, remettant en cause la suprématie du modèle littéraire antique au profit de formes esthétiques nouvelles et d’une littérature adaptée à l’époque contemporaine. Sous la gouverne de Nicolas Boileau, – comme aujourd’hui avec Pierre Assouline – la vieille garde conservatrice avait alors riposté, défendant bec et ongles leur conception étriquée d’une création littéraire reposant exclusivement sur l’imitation du style des auteurs de l’Antiquité. En pure perte, les styles nouveaux se sont imposés.
Cela sera-t-il encore le cas aujourd’hui? L’Académie suédoise parviendra-t-elle à ses fins? Arrivera-telle à imposer aux Boileau-Assouline de notre temps sa conception revue et corrigée de l’oeuvre littéraire? On ne peut que l’espérer.
La littérature façon Bob Dylan
Blowin’ In The Wind (The Freeweelin’ Bob Dylan, 1963)
Première chanson d’importance de Bob Dylan, celle qui le fera connaître. Écrite au début des années ’60, dans un contexte de Guerre froide, de tensions au Viêt Nam et de mouvement des droits civiques, Blowin’ In The Wind est l’archétype de la chanson de protestation.
Comme elle ne réfère à aucun événement particulier, elle demeure encore aujourd’hui d’actualité pour tous les mouvements de protestation. Faussement naïve, elle ne répond jamais vraiment aux questions complexes qu’elle pose. Elle se contente d’indiquer où trouver les réponses… Dans le souffle du vent.
All Along The Watchtower (John Wesley Harding, 1967)
Cette chanson qui prend des allures d’essai littéraire reflète bien le style de Dylan, tout en humour et en provocation. La chanson s’ouvre sur un dialogue entre un plaisantin convaincu qu’il se fait voler et un voleur persuadé que tout est matière à rire. Le tout donne à penser qu’un long échange s’ensuivra. Eh bien, non. En 12 lignes, la boucle est bouclée. L’auditeur connaît le début, il connaît la fin de l’histoire, ne lui reste plus qu’à imaginer le milieu.
Mr. Tambourine Man (Bringing It All Back Home, 1965)
Nouvelle innovation de Dylan : une chanson qui débute par le refrain plutôt que par un couplet. Influencé par le symbolisme d’Arthur Rimbaud, le texte de Mr. Tambourine Man est considéré comme l’un des plus évocateurs et poétiques de l’auteur-compositeur-interprète.
Visions Of Johanna (Blonde On Blonde, 1966)
Visions Of Johanna a fait l’objet de nombreuses interprétations. Certains y voient l’illustration d’une conscience fracturée (Robert Shelton). D’autres y voient plutôt l’opposition entre deux femmes, Louise, la sensuelle, et Johanna, la femme spirituelle et inaccessible (Andy Gill). Dans les deux cas, Dylan y exprimerait sa quête sans fin d’un idéal impossible à atteindre, sans lequel la vie n’aurait pourtant aucun sens.
Visions Of Johanna a permis de repousser les limites de l’écriture de paroles de chansons. De l’avis d’Andrew Motion, il s’agit de la meilleure chanson jamais écrite.
Knockin’ On Heaven’s Door (Pat Garrett & Billy the Kid, 1973)
La structure des paroles de cette chanson est d’une grande simplicité : deux couplets auxquels s’ajoute un refrain – Knock, knock, knockin’ on heaven’s door – répété à 4 reprises.
Écrite pour le film Pat Garrett & Billy the Kid, Knockin’ on heaven’s door relate l’histoire d’un shérif aux portes de la mort qui s’adresse à sa femme. La chanson, à la fois sobre et mélancolique, rehausse magnifiquement la scène du film pour laquelle a été écrite.
Masters Of War (The Freeweelin’ Bob Dylan, 1963)
Critique sévère des partisans de la course à l’armement, plus particulièrement Eisenhower et les tenants du complexe militaro-industriel (CMI).
Chimes Of Freedom (Another Side Of Bob Dylan, 1964)
La chanson décrit les émotions et pensées du chanteur et d’un compagnon inconnu alors qu’ils patientent à l’extérieur, sous un porche, durant un orage. Le chanteur exprime sa solidarité envers les personnes opprimées, alléguant que le tonnerre résonne par sympathie pour eux.
Comme le mentionne Mike Marqusee, cette chanson marque un tournant dans l’écriture de Bob Dylan. L’homme abandonne les causes spécifiques et ses représentations manichéennes des réalités sociales contemporaines au profit d’un engagement plus général envers les opprimés de ce monde. Le plume se transforme, s’imprègne d’un surréalisme satirique qui sera dorénavant la marque de Dylan.
Tangled Up In Blue (Blood on the Tracks, 1975)
Cette chanson raconte la poignante histoire de deux amoureux que la vie sépare en dépit de l’amour qu’ils éprouvent l’un pour l’autre.
Exemple le plus abouti de la volonté de Dylan d’écrire des chansons « multidimensionnelles ». À cette époque, Dylan est influencé par son intérêt pour la peinture et le cubisme, dont les artistes cherchent à incorporer de multiples perspectives en un seul plan de vue.
Rejetant l’arbitraire des notions de temps et d’espaces en chanson, Dylan propose un astucieux mélange des passé, présent et futur, sans souci de cohérence ou de chronologie. À tout cela s’ajoute des alternances entre le « je » et le « il » et entre le masculin et le féminin.
It’s Alright, Ma (I’m Only Bleeding) (Bringing It All Back Home, 1965)
Les paroles expriment la colère du chanteur contre ce qu’il perçoit comme l’hypocrisie, le mercantilisme, le consumérisme et la mentalité guerrière inhérente à la culture américaine contemporaine. Ici aucun optimisme ou espoir de changement quant à l’émergence de solutions politiques ou sociales.
It’s Alright, Ma (I’m Only Bleeding) est techniquement éblouissante. Caractérisée par une utilisation quasi exclusive de deux notes, la mélodie met en valeur des rimes sobres et complexes, truffées d’allusions fines à Arthur Koestler, l’Ecclésiaste et Elvis Presley.
A Hard Rain’s A-Gonna Fall (The Freeweelin’ Bob Dylan, 1963)
Ultime chanson de protestation, A Hard Rain’s A-Gonna Fall nous met en garde contre une apocalypse imminente tout en nous bombardant de visions d’horreur : enfants armés jusqu’aux dents, arbre dégoulinant de sang, etc.
Desolation Row (Highway 61 Revisited, 1965)
Desolation Row dépeint la terreur post-apocalyptique. L’homme y dresse la liste des personnages célèbres qui ont abandonné tout espoir de salut : Cain et Abel, Ophélia, Roméo, Quasimodo, le Titanic… Cette chanson est un terrain vague d’âmes perdues. Sans doute, le texte le plus épique de Dylan.
The Times They Are A-Changin (The Times They Are A-Changin, 1964)
Puisant à la source fertile des ballades irlandaises et écossaises, The Times They Are A-Changin chante les turbulences du début des années ’60, offrant une perspective et des points de vue opposés sur des problématiques sociopolitiques d’actualité. Comme tant d’autres chansons de Dylan de cette époque, The Times They Are A-Changin a été élevé au rang d’hymne à la volonté de changement.
Subterranean Homesick Blues (Bringing It All Back Home, 1965)
La chanson évoque le fossé de plus en plus important qui se creuse entre la vieille garde conservatrice et la contre-culture émergente des années ‘60. Les allusions nombreuses à cette contre-culture débitées sur un rythme endiablé (l’hyperkinésie dylanienne) trouvent une oreille attentive chez cette jeunesse marquée par une utilisation de plus en plus généralisée de drogues récréatives et les turbulences de la guerre du Viêt Nam. Une chanson psychédélique, en somme.
Hurricane (Desire, 1976)
Hurricane relate les circonstances ayant conduit à l’emprisonnement du boxeur noir Rubin « Hurricane » Carter. La chanson se borne à une compilation des faits confirmés de racisme et de profilage, qui ont mené au procès et à la condamnation injuste d’un innocent. La simplicité de la prose cède le pas à l’énormité des faits. Pas de tournures de phrases habilement ficelées. Des faits. Juste des faits. Le résultat obtenu est extraordinaire.
Maggie’s Farm (Bringing It All Back Home, 1965)
Derrière l’apparente simplicité de sa mélodie et de sa structure blues, Maggie’s Farms cache des trésors de complexité sur le plan de l’écriture. Certains voient dans la chanson une protestation à l’endroit des protestations perpétuelles d’une gauche, éternelle insatisfaite. À leurs yeux, Maggie’s Farms est une preuve de plus de la capacité de Bob Dylan à vivre dans son temps, à se remettre en question, à se renouveler sans cesse. D’autres y voient plutôt la trace d’une protestation ironique sur le thème de l’exploitation capitaliste. Dylan chanterait pour les jeunes, les exhortant à rejeter le modèle sociétal de leur temps.
Like A Rolling Stone (Highway 61 Revisited, 1965)
Dans Like A Rolling Stone, la contestation politique cède le pas à la critique de moeurs. Dans cette chanson « coup de poing » Dylan pourfend le bien paraître, le « branché », le superficiel et les valeurs d’une société fondée sur la consommation.
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